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Aux urgences de Dax, les jours et les nuits se suivent et ne se ressemblent jamais. Simples bobos, accidents graves, ce sont plus de 46.000 passages (2.000 de plus qu'en 2017) qui ont été enregistrés l'an passé par ce service en tension comme ailleurs en France, qui compte une centaine de professionnels dont une quinzaine de médecins. Dans ce flot en sous-effectif chronique, prendre le temps de repérer ou d'écouter une victime n'est donc pas chose aisée alors qu'arrive ici presque une femme chaque jour pour des violences subies.
Ce jour-là, il est déjà 10h00 et après une nuit de garde censée s'achever deux heures plus tôt, le Dr Cedric Luquet termine, dans le secret médical de son ordinateur, un rapport à la demande des services judiciaires sur un nouveau cas de femme battue qui s'est présenté dans le week-end. « Dans l'actualité, on parle beaucoup des féminicides (139 en France à ce jour en 2019, ndlr), il faut aussi parler des coups, des blessures et mutilations qui laissent des traces psychologiques à jamais chez toutes ces femmes », assure à ses côtés le Dr Bertrand Lhez, référent sur les violences faites aux femmes à l'hôpital de Dax.
À chaque fois, ce sont des histoires tragiques touchant toutes les catégories sociales et qu'on retrouve, si la victime porte plainte, dans les pages faits divers des journaux : coups de pieds, gifles, frappes à la barre de fer, câble d'ordinateur en guise de fouet, pratiques sexuelles imposées, brûlures... Les violences psychiques sont lourdes aussi : humiliations diverses, dévalorisation, interdiction de voir ses amis, injures.
Récemment sur TF1, une jeune Landaise, la peur encore dans la voix, racontait à visage caché aux urgences : « il m'a collé contre la porte en m'étranglant avec son front et quand il était complètement collé contre moi, il m'a mis un coup de tête sur le nez ». Si les caméras du 20h00 ont fait le déplacement à Dax, c'est parce que cette unité médico-légale (UML) créée en 2015 par les docteurs Bertrand Lhez et Jean-Maurice Dupin est précurseur dans l'accueil de victimes de violences, un service pilote.
En octobre, la ministre de la Justice Nicole Belloubet est venue sur place saluer leur travail « utile aux victimes et à la justice ». « C'était une reconnaissance bien sûr, explique le Dr Lhez, mais on lui a également expliqué notre investissement au-delà du temps de travail, on s'épuise ici aussi ».
A Dax, ils sont aujourd'hui quatre urgentistes à l'UML à pouvoir intervenir le plus vite possible sur réquisition, avec des astreintes H24. Finie l'époque où une femme violée arrivant de nuit, devait attendre le matin pour subir des prélèvements et pouvoir enfin se doucher.
Une pièce est spécialement aménagée pour recevoir les victimes au calme, à l'écart du brouhaha des urgences où les affiches d'informations dédiées aux violences faites aux femmes sont régulièrement déchirées sur les murs.
Ici, tout le personnel est aussi formé au repérage des victimes de drames conjugaux. « On a également insisté sur la formation des sages-femmes car beaucoup de violences se développent pendant la grossesse quand l'homme se rend compte qu'il n'est plus seul », précise le Dr Lhez.
Pour faciliter le travail des professionnels des urgences, l'UML a créé une petite fiche dédiée aux consultations que chacun a sur lui pour ne rien oublier et développer des réflexes au-delà des soins médicaux prioritaires : évaluation du danger immédiat, consultation psy, procédure d'hospitalisation ou hébergement si nécessaire, désir de porter plainte, appel de la police ou des gendarmes si accord de la patiente majeure, prise de photos... et au dos, les critères d'évaluation du barème de l'incapacité temporaire de travail selon la taille des lésions ou de la gêne.
« En prenant le temps de parler, il n'est pas rare de comprendre qu'une patiente venue au départ pour un traumatisme lié à une chute, a en fait pris des coups. On est aussi en alerte quand un homme parle à la place de sa femme ou qu'il ne veut pas qu'elle soit examinée seule», note l'urgentiste.
Ex-interne à l'hôpital de Dax où elle est aujourd'hui en poste, Alizé Lucine a fait sa thèse sur le repérage des violences conjugales avec état des lieux des pratiques des urgentistes en Aquitaine, sous la direction du Dr Lhez. « Contrairement à une maladie avec ses symptômes, il n'y a pas de signes évidents pour repérer des violences conjugales, note la jeune médecin. Le mieux est de poser, de manière systématique au même titre que les antécédents médicaux, la question 'avez-vous déjà été victime de violences au sein de votre couple ?', car si le médecin pose cette question, c'est qu'il est prêt à entendre la réponse et donc à aider ces victimes. Il faut que cela devienne une habitude pour les femmes et les médecins car ainsi, il n'y a pas de tabou ».
En 2018, 230 certificats ont été rédigés par les urgences dacquoises pour des femmes victimes de violences. Ce sont des documents nécessaires pour porter plainte. Mais beaucoup refusent la démarche. A chacune, sont donc automatiquement remis les contacts vers l'assistante sociale, le CIDFF (centre d'information départemental sur les droits des femmes et familles), l'Adavem (Association départementale d'aide aux victimes et médiation, France Victimes 40) ou l'aide aux victimes des avocats du barreau de Dax. Le tout est souvent doublé de mails des urgences à ces associations pour ne pas laisser la victime isolée.
« On est en partenariat avec les urgences, le but est de travailler en réseau, que tout le monde ait la même culture commune pour repérer et accompagner les femmes victimes de violences conjugales », souligne Martine Tapin, responsable du CIDFF qui a suivi cette année 349 nouvelles femmes : « certaines mettent des années à s'en sortir, d'autres ne s'en sortent pas, prise par la culpabilité de briser leur famille ».
« Des urgences aux associations qui travaillent en complémentarité, le réseau est essentiel pour casser la bulle de l'isolement et ne pas laisser la personne seule au pied de la pyramide d'une procédure », juge Anne Decung, directrice de l'Adavem où l'équipe de 11 salariés entre Dax et Mont-de-Marsan articule au quotidien aide psychologique et juridique pour les victimes (200 femmes accompagnées en 2019 pour violences conjugales, 25% de plus qu'en 2018).
Anne Decung, directrice de l'Adavem
Dans ce contexte, sensibiliser et former le plus de monde possible au repérage des violences est le leitmotiv du Dr Lhez qui balade son bâton de pèlerin aux quatre coins des Landes et au-delà. Ce 28 novembre, salle Lamarque-Cando à Mont-de-Marsan, ils sont plus de 200 à participer à la journée de sensibilisation organisée par la délégation départementale aux droits des femmes.
Devant des infirmières, sages-femmes, médecins, assistantes sociales, avocats, gendarmes, policiers, éducateurs spécialisées et associatifs, le Dr Lhez a, avec sa consoeur Marie-Christine Harambat de l'hôpital de Mont-de-Marsan, détaillé la prise en charge, le recueil d'indices par prélèvement ou photos, et aussi abordé la question du secret médical : « il est capital dans la relation médecin-patient, mais il ne faut pas s'en servir pour ne rien faire. La première chose est de mesurer si la victime est en danger, on peut l'hospitaliser pour ne pas qu'elle rentre chez elle. On peut aussi lui expliquer pourquoi il faut porter plainte et déclencher un réseau d'aide autour d'elle ».
Un réseau qui travaille à toujours mieux se coordonner, comme l'ont indiqué les autres intervenants de cette journée, des responsables associatifs aux élus départementaux, des procureurs aux forces de l'ordre. Cette dernière semaine de novembre, en clôture du Grenelle contre les violences faites aux femmes, trois contrats locaux contre les violences conjugales, sexistes et sexuelles ont d'ailleurs été signés entre l'Etat, le Département, le directeur académique de l'Education nationale, les hôpitaux et autres acteurs concernés sur Mont-de-Marsan, Dax et le Pays d'Albret. Tous engagés pour développer ensemble une véritable culture de la protection des femmes.
En chiffres
Dans les Landes : de janvier à août 2019, 413 victimes de violences conjugales ont été recensées (source SSMI-base des crimes et délits enregistrés par la police et la gendarmerie). 74 appels de femmes en détresse ont été reçus au 3919, numéro national.
Victime ou témoin de violences, le numéro vert départemental, confidentiel, gratuit et anonyme, est aussi à votre écoute au 0800 436 703. Du lundi au vendredi de 9h00 à 12h00 et de 14h00 à 17h00.
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