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Le genre dans l’alimentation : Questions à… Nora Bouazzouni

11/10/2022

605 vues

© Laurent Guitou

Dimanche 16 octobre, au Musée départemental de la faïence et des arts de la table de Samadet, la journaliste indépendante s'est intéressée au genre de nos assiettes.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à la question du genre dans l’alimentation?

Nora Bouazzouni : mon premier livre, Faiminisme, traitait déjà du genre dans l’alimentation, mais sous l’angle des systèmes : professions barrées aux femmes comme l’agriculture ou les postes de chef de restaurant, la misogynie, la violence dans certains milieux, les différences de salaires, etc. J’y évoquais très peu les représentations alors que dans les conférences, tables rondes et interviews qui ont suivi, j’en parlais régulièrement. Je me suis donc dit qu’il y avait un autre livre à écrire là-dessus. 

Tout le monde mange, c’est universel. En France, on parle beaucoup de nourriture et on y pense tout le temps. C’est un objet d’étude qui me fascine, de même que la question du genre est devenue un sujet d’expertise pour moi. 

On a l’impression qu’on est assez libre dans nos choix d’alimentation, si l’on excepte d’éventuelles contraintes financières ou des raisons de santé. On n’a pas forcément conscience que le genre intervient comme facteur extérieur. Un exemple très concret : lors d’un rendez-vous galant dans un restaurant entre un homme et une femme, chacun va faire attention à ce qu’il prend pour renvoyer quelque chose de positif. La dame commandera peut-être une salade végétarienne alors que le steak lui fait plus envie et le monsieur hésitera à avouer qu’il ne mange pas de viande ou ne boit pas de vin, parce que ça fait moins viril. 

Manger est un acte culturel, qui donne des indices sur notre identité.

© Laurent Guitou

Puisque les goûts ne sont pas innés, quels sont, selon vous, les facteurs influençant les modes d’alimentation genrés ?

Nora Bouazzouni : le cadre familial joue beaucoup : si c’est la maman qui fait à manger tous les jours alors que le père s’occupe seulement des barbecues ; si la mère sert davantage son fils que sa fille ; si le papa fait des remarques sur l’appétit de sa fille alors qu’il ne dira rien au fils…

Ensuite, il y a les représentations. La publicité, les films, les séries et les livres construisent et déconstruisent notre imaginaire et nos stéréotypes de genre. La publicité est heureusement en train d’évoluer parce que la société se transforme et que la pub n’a aucun intérêt à rester dans des clichés éculés. On a enfin admis que le sexe ne fait plus vendre.

Pour autant, les schémas normatifs n’ont pas disparu, ils sont juste un peu plus discrets. En fait, on les voit tellement souvent qu’on n’a plus le temps de les relever. C’est quasi subliminal. 

Prenons par exemple les spots sur le chocolat. On y voit toujours une femme seule en train de manger et y prendre un plaisir inouï, dans une attitude quasi masturbatoire, les yeux fermés, la pupille qui se dilate, les cheveux détachés. Alors que le discours est : « faites-vous plaisir sans culpabiliser ». C’est une sorte d’injonction paradoxale. 

À l’inverse, dans des pubs pour de la viande ou de la fast food, ce sont le plus souvent des hommes qui sont représentés. Et il n’y est jamais fait mention de calories alors que dans les spots « féminins » on précise toujours le « sans » : sans sucre, sans matière grasse…

Sous des atours plus discrets et plus progressistes, on est toujours dans un schéma binaire : la minceur pour les femmes, la force et la quantité pour les hommes.

© Laurent Guitou

Vous évoquez également l’influence des réseaux sociaux sur les jeunes générations…

Nora Bouazzouni : les instagrameurs et youtubeurs les plus populaires exercent une influence considérable sur un public vulnérable, très sensible à un idéal de vie mêlant santé, beauté et réussite sociale. Ces influenceurs se présentent comme des gens lambda, ce ne sont pas des superstars du sport ou de la musique, ils font une publicité plus discrète, plus sournoise qu’une marque commerciale. Du coup, cela crée un fort effet de proximité et les jeunes s’identifient à ces gens qui ne semblent pas leur vouloir de mal. 

Or, les réseaux sociaux sont le milieu du paraître et de la mise en scène de soi. Et on reste sur des schémas très normés où rien n’a changé : minceur et sexualisation pour les femmes, force et muscle pour les hommes. Et cela peut avoir des effets désastreux. Certains tutos, réalisés par des personnes n’ayant aucune qualification en diététique, indiquent la marche à suivre pour une alimentation « plus saine »  et on s’aperçoit que leurs préconisations nutritionnelles ne sont pas du tout équilibrées, hypocaloriques, voire très carencées.

Bio express

Nora Bouazzouni est une journaliste indépendante, autrice et traductrice. Elle travaille principalement sur les séries, l'alimentation et le genre, pour de nombreux médias print, web, vidéo et podcast : Trois Couleurs, Le Fooding, Marie Claire, Slate.fr, Binge Audio, Urbania France… 

Elle est l'autrice de deux essais, Faiminisme - Quand le sexisme passe à table (2017) et Steaksisme - En finir avec le mythe de la végé et du viandard (2021) aux éditions Nouriturfu. 

Elle a aussi créé le podcast Plan culinaire (Louie Media) et le programme court Fine Bouche (Urbania France), un SAV de la bouffe décomplexé.
 

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