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02/06/2022
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En ce jour d’inauguration, il y a foule dans la bastide du Village Landais Alzheimer, renommé Village Landais Henri Emmanuelli (VLHE). Pourtant, il suffit de s’éloigner de quelques pas pour ressentir instantanément la sérénité et l’apaisement que procurent le parc arboré de 5 hectares et les 16 maisonnées, réparties en 4 quartiers et construites sur le modèle architectural landais. « Pour certaines familles, le fait d’être dans un endroit aussi agréable facilite la communication. Tout est prétexte à la discussion : le cadre paysager, les animaux, les végétaux », savoure Pascale Lasserre-Sergent, la directrice.
Éliane, toute pimpante dans sa robe aux couleurs vives, aime se promener dans cet espace reposant, où elle ne manque pas de saluer quotidiennement Jasmine et Junon, les deux ânes. Elle apprécie surtout la liberté des horaires, marque de fabrique de la vie dans le Village : « j’ai tellement eu l’habitude de me coucher tard et de me lever tôt ! ». Une souplesse que Pascale Lasserre-Sergent revendique : « le temps, c’est nous qui le maîtrisons. Ce n’est pas le poids de l’institution qui l’emporte. Si un résident a envie de manger à 11 heures, il se sert. Et les familles le comprennent, parce que c’est le projet ».
« La bienveillance et la bientraitance sont le leitmotiv du Village », confirme Véronique Luciani, maîtresse de maison : « notre rôle, c’est de maintenir les capacités et de valoriser le potentiel de chacun à travers des petits gestes quotidiens », comme passer le balai, mettre le couvert, aider à préparer le repas, faire la vaisselle, aller aux courses… 8 villageois cohabitent dans chaque maisonnée. Ils disposent d’une chambre individuelle mais un temps d’adaptation est parfois nécessaire pour apprendre à vivre ensemble. « On est là pour veiller au grain, calmer les angoisses » dit Mme Luciani, qui organise des petits jeux l’après-midi pour cimenter la solidarité. Sa collègue Yolande Gonzalez, qui a travaillé en unité fermée, insiste sur la possibilité pour les habitants de pouvoir sortir pour aller à la brasserie, l’épicerie, la médiathèque, chez la coiffeuse : « cette liberté leur fait du bien et constitue en soi une thérapie non médicamenteuse ».
Cette liberté d’aller et venir dans le Village, composante essentielle de l’expérimentation dacquoise, suppose « un droit au risque, qui est porté par l’ensemble de l’institution », assume le docteur Gaëlle Marie-Bailleul : « cela demande parfois de déconstruire des choses apprises ». Pour autant, la médecin-coordonnatrice du VLHE se refuse à opposer bienveillance et médication : « ce serait un raccourci. On ne peut pas arrêter le traitement de personnes poly-pathologiques du jour au lendemain. On essaie juste de s’appuyer sur l’environnement humain et architectural avant d’user de médicaments ».
Cet accompagnement centré sur la personne a mobilisé des engagements financiers important à hauteur de l’ambition partagée. Le chantier a coûté 28,8 M€, dont 20 M€ investis par le Département. Grâce notamment à la dotation de fonctionnement de l’Agence régionale de santé (ARS) qui s’élève à 3,5 M€ par an et à un peu plus d’1 M€ de financement départemental supplémentaire, le taux d’encadrement est exceptionnel : pour 120 villageois, il y a 128 salariés. « On nous donne les moyens architecturaux et humains de se réaliser dans les valeurs que tous les soignants, où qu’ils travaillent, portent en eux », reconnait sans peine la docteur Marie-Bailleul.
Deux ans après l’ouverture du Village, les professionnels, dont certains ont changé de vie pour tenter l’aventure dacquoise, demeurent convaincus de la pertinence de son modèle d’accompagnement, à l’image de Véronique Luciani : « on a des niveaux d’études et des expériences différents mais on parle toutes le même langage. On a cette volonté commune de faire évoluer les choses ».
Une adhésion collective que Saïd Acef, nouvellement nommé directeur du Groupement d’intérêt public (GIP) Village Landais Alzheimer, compte bien entretenir : « on est sur une expérimentation qui fonctionne depuis 2 ans, dans un contexte de crise sanitaire. Il faut à nouveau saluer la façon dont les équipes du village ont su relever ce défi quotidien d’accompagner, soigner, rassurer les personnes accueillies. Nous sommes désormais repartis pour 5 ans supplémentaires grâce à un contrat entre l’ARS, le Conseil départemental, le GIP et l’établissement. Les financements sont pérennes, avec des crédits inscrits dans la durée. On doit simplifier d’un point de vue administratif et juridique le fonctionnement du Village, afin de sécuriser la présence et l’engagement des personnels et des bénévoles. Tout en réussissant désormais à faire vivre pleinement l’expérimentation notamment sur l’ouverture du village à son environnement. Le défi est de réunir toutes les conditions pour que l’esprit et la lettre du projet persistent et se développent dans la durée ».
Si la crise de la Covid a entrainé une inauguration tardive, elle a aussi ralenti l’intégration des bénévoles, qui a débuté en juillet 2020 mais n’est effective que depuis juin 2021. En appui des professionnels, ils contribuent au maintien de la vie sociale. « Ils accueillent les villageois à la brasserie, à l’épicerie, à la médiathèque. Leur rôle est d’aider à passer des moments agréables à travers de petites fêtes, des promenades, des jeux. Certains proposent des animations auxquelles les villageois se rendent, en fonction de leurs centres d’intérêt : conférence sur l’astronomie, groupe de tricot, lecture de contes, chant… », décrit Florence Laudouar, coordonnatrice bénévolat et animation. Au total, 180 personnes ont suivi la journée d’information et de sensibilisation destinée aux volontaires et 65 d’entre elles viennent très régulièrement.
Cet apport extérieur s’ajoute aux ateliers créatifs, sportifs et cognitifs dirigés par les animateurs du VLHE. Sans compter avec les petits moments de partage imprévus : « S’il y a une partie de Uno qui s’improvise dans le quartier Bas-Armagnac, je peux participer même si j’habite dans le quartier Chalosse. Les interactions entre les uns et les autres sont nombreuses. Les relations humaines sont spontanées et sincères, les normes sociales ne s’imposent pas », s’enthousiasme Pascale Lasserre-Sergent.
Reste à déterminer si cet accompagnement bienveillant a un impact positif et objectivable dans l’avancée de la maladie d’Alzheimer. C’est un des objets du volet recherche de l’expérimentation dacquoise, mené par Hélène Amieva, professeur à l’Université de Bordeaux et directrice d’une équipe Inserm. Des entretiens d’évaluation ont lieu tous les 6 mois avec les 120 villageois, mais aussi avec les familles et les personnels.
Tout en rappelant au préalable qu’un scientifique « ne peut se baser sur des impressions et doit attendre l’analyse objective des résultats », la spécialiste en psycho-gérontologie consent à livrer ses premières observations : « il me paraît visible que ce lieu joue un rôle de lien social en favorisant les interactions entre les villageois et toutes autres personnes. Malgré une maladie qui se caractérise souvent par une tendance à l’isolement, les personnes gardent un comportement social adapté ». On ne pourra toutefois tirer un premier bilan qu’au bout de 3 ans.
En attendant ces résultats, l’équipe de recherche du VLHE a d’ores et déjà achevé une étude sur l’impact du Village sur la représentation de la maladie d’Alzheimer dans le grand public. Une enquête téléphonique a été conduite à Dax et alentours ainsi qu’à Villeneuve-sur-Lot (ville qui présente les mêmes caractéristiques socio-économiques que la sous-préfecture des Landes), avant et après l’ouverture du Village. « On observe au niveau des réponses landaises une évolution positive du regard sur la maladie d’Alzheimer, avec moins de dégoût rapporté après le lancement du projet. Ce qui n’est pas le cas dans le Lot-et-Garonne. De même, à une autre question sur les caractéristiques de la maladie, la notion de perte d’identité est moins évoquée à Dax après l’ouverture. L’hypothèse est donc que la médiatisation du VLHE a contribué à véhiculer une représentation moins effrayante », synthétise le professeur Amieva.
Dans les prémices du projet, le Village était conçu comme un quartier de Dax, ouvert sur la ville. La Covid en a décidé autrement, obligeant l’établissement à vivre dans une bulle protégée de l’extérieur. Au bout de 2 ans, cela devient un enjeu. Pascale Lasserre-Sergent émet le souhait que des professionnels d’autres structures visitent le site dacquois, afin « d’observer un accompagnement différent, où la liberté d’aller et venir est une dimension fondamentale en ayant conscience que le site est un outil de travail qui le permet ». Le docteur Marie-Bailleul suggère une ouverture mesurée et progressive : « je l’imagine se faire à des moments choisis, par le biais de projets intergénérationnels ou culturels ».
C’est sur cette voie-là que Saïd Acef compte engager la structure : « dès l’automne 2022, nous allons construire avec les partenaires locaux une première dynamique de saison culturelle et faire de la médiathèque, de l’auditorium mais aussi de la bastide, des lieux où les habitants du Village pourront avoir un contact avec l’extérieur et où les visiteurs pourront également venir partager des temps programmés. Et ce de manière accompagnée et adaptée pour respecter la qualité de vie des villageois ».
À observer, le jour de l’inauguration, les villageois danser et taper des mains aux sons enjoués et cuivrés du groupe Les Incognitos, on aurait tendance à trouver cette idée séduisante.
Toutes les infos du Village Landais Alzheimer sur https://villagealzheimer.landes.fr/.
Pour aller plus loin
Les sites du département