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Le dernier café du village avait fermé depuis deux ans à Sort-en-Chalosse quand sept copains ont fondé le Cercle sortois d'animations et de rencontres. « On voulait tellement montrer aux gens ce qu'on voulait faire qu'on a tout mis dans le nom ! Même si on était en-dessous de l'Adour, on l'avait baptisé comme ça en hommage aux cercles existants de Haute Lande, à la façon dont ils avaient imaginé ces lieux de vie et de rencontres. Un jour, on a reçu un courrier nous sollicitant pour rejoindre la Fédération, c'était une sacrée bonne surprise ! », se rappelle Michel Tortigue, aujourd'hui vice-président du cercle sortois, un lieu de partage ouvert à tous depuis le 21 décembre 2012.
Dix ans que les portes du café du moulin se sont ouvertes avec sa belle terrasse en bois donnant sur deux petits ruisseaux alimentant l'étang de la Banère ; dix ans que des concerts, des pièces de théâtre, des soirées jeux de société ont lieu régulièrement dans la salle des sports et des fêtes attenante, mise à disposition de l'association par la municipalité et qu'ils arrivent à rendre chaleureuse ; dix ans fêtés comme il se doit le 16 décembre dernier avec des jeux de quilles, une « hailhe de Nadau » pour jeter au feu ses soucis de l'année et une nouvelle soirée entre amis et villageois du coin.
Le bar en bois avec sa main courante en cuivre qui est là à l'étage, vient du café que tenait tout près Jean Berdoyes jusqu'à sa retraite : « j'allais faire quoi du comptoir, le mettre sous mon lit ? », rigole celui qui fut aussi parmi les fondateurs, « venir ici, ça permet de garder le contact avec plein de gens qui parlent, s'amusent et n'ont pas que des histoires de vieux à raconter ! »
Dans cet unique cercle de Chalosse où existent plutôt des cafés associatifs et tiers-lieux, une centaine d'adhérents sont dénombrés dans ce village de 900 habitants, « mais pas que des Sortais », explique la présidente Cathy Dugrand : « on commence à gagner un public un peu connaisseur, qui vient pour la culture. On s'est fait connaître aussi avec notre bus mystère avec lequel on emmenait des gens sur un lieu culturel surprise et bien sûr les spectacles qu'on propose avec notre formule-dîner ».
La « Hailhe de Nadau » organisée par le Cercle sortois, vendredi 16 décembre 2022 :
Ce 19 novembre, ils étaient une bonne centaine pour le bouillon aux cheveux d'ange, le pot-au-feu-légumes-tomates et la tarte tatin, tout maison, préparés par huit bénévoles sur la vingtaine de membres actifs qui s'investissent pour la réussite des soirées à chaque fois. « On essaie au maximum de coller le repas au style de musique du soir. Une fois on a fait un Irish stew pour accompagner les ballades irlandaises. Là, c'est chanson française, alors pot-au-feu... », explique Hervé, qui cuisine ici depuis huit ans, avec son tablier de chef « licence 40, cercle sortois » : « avant le Covid, on faisait 80 repas en moyenne pour les soirées-spectacle. Depuis, on est plutôt entre 100 et 120, les gens ont besoin de se retrouver », savoure-t-il, avant d'aller s'occuper des lumières du spectacle.
Et pendant que mijotent les beaux morceaux de viande, entre en scène le trio des Polis sont acoustiques. Les moutons de Jacques Brel avec le bêêêê repris par le public façon cornemuse, L'Auvergnat de Brassens version berbère, Antisocial de Trust mode crooner jazzy, un slam à la Grand corps malade s'enchaînent dans une belle ambiance, entre autres textes humoristiques.
Comme eux, ils sont, sur la période septembre-décembre, une douzaine de groupes à avoir participé à la programmation « Entrer dans les Cercles » pour une vingtaine de dates dans une quinzaine de ces lieux gascons.
« Grâce à l'argent de nos partenaires dans le cadre d'une convention multipartite (les Départements des Landes et de Gironde 10 000 € chacun, la Région Nouvelle-Aquitaine 4 500 € et le Parc naturel régional des Landes de Gascogne 5 000 €), nous sélectionnons des groupes musicaux, des pièces de théâtre, du spectacle de rue, pratiquement tout est investi dans les cachets des artistes et la Sacem. Nous soumettons nos choix à l'ensemble des cercles et chacun se positionne sur un, deux, trois ou quatre spectacles, ce qui nous donne un beau calendrier d'animations », explique Eric Cuvillier, président de la Fédération des Cercles de Gascogne (23 cercles dont 9 dans les Landes et 14 en Sud Gironde), lui-même membre de celui de Canéjan (Gironde) : « notre but est de faire le moins possible d'amateurisme. Les spectacles de qualité qu'on propose seraient trop chers pour que ces petites structures se les offrent elles-mêmes ».
Pour inciter les cercles à en prendre, ces derniers ne paient que 30 % du premier spectacle, puis la part augmente en fonction du nombre d'animations retenues. Mais pour le public, les spectacles sont toujours gratuits où qu'ils soient (participation au chapeau), et les consommations des bars doivent être à prix modérés pour accueillir le plus grand nombre. La Charte de la Fédération des Cercles de Gascogne le précise d'ailleurs bien : ces lieux associatifs qui appartiennent aux acteurs de l’Economie sociale et solidaire (ESS) sont « des espaces de rencontres, de mixité sociale, d’éducation populaire et intergénérationnels. Les valeurs de solidarité, d’entraide, d’échange y sont essentielles. Ils sont également des vecteurs de culture régionale et populaire ».
Se retrouver, être ensemble, partager sont les maître-mots des Cercles qui, comme le dit Eric Cuvillier, « ont tout un passé. Mais il ne faut pas les laisser dans ce passé, ils sont aussi modernes, avec toujours des choses nouvelles à y découvrir pour tous les âges ». Les actions se sont professionnalisées au fil du temps, en lien aussi avec l'Office artistique Région Nouvelle Aquitaine (OARA) pour de l'accueil d'artistes en résidence menant à des créations de spectacles, comme avec Johanna Gallard de l'univers du cirque (Compagnie Au fil du vent) qui travaille avec des poules à Canéjan et à Saint-Justin pour un nouveau spectacle l'été prochain, ou comme ce projet en cours sur le temps de la Coupe du monde de rugby, pour associer sport et culture, match et spectacle à l'automne prochain...
Autre nouveauté à échelle régionale, animée sur le territoire avec le Parc naturel régional, l’association Musicalarue, la Communauté de communes Cœur Haute Lande et le Conseil départemental des Landes, la création participative Nos cabanes de la Compagnie L’Homme debout qui verra le jour en mai 2023 : un spectacle grand format (24 heures) qui se jouera à Brocas avec d'immenses personnages en roseaux et des objets poétiques et symboliques, en écho avec nos territoires.
Au quotidien, l'idée est bien toujours d'animer le territoire, et cela fait 25 ans que ça dure. La Fédération a été créée le 20 mars 1998 sous l’impulsion de trois cercles landais (Luxey, Pissos et Sore), avec le soutien du Parc naturel régional des Landes de Gascogne. Objectif ? La sauvegarde des cercles et le maintien de leurs traditions, par un soutien aux programmes d’animation et de rénovation, le recensement et la conservation de la mémoire de ces lieux, des échanges et conseils entre les cafés membres.
Et de nouveaux lieux tapent régulièrement à la porte de la Fédération pour l'intégrer, notamment du Lot-et-Garonne et du Gers. Il y a finalement autant de types de cercles que de cercles, entre les bars à licence IV avec un salarié ou deux, les associations qui n'ouvrent qu'une fois par mois (le minimum requis par la Charte), celles qui utilisent la salle des fêtes, etc. Mais une chose est commune à chacun : ces lieux ne pourraient nulle part fonctionner sans bénévoles.
Ici, le bénévolat est en effet une valeur cardinale même s'il est, comme partout, en équilibre instable. Pour célébrer tous ces acteurs volontaires essentiels qui font vivre à l'année les cercles, la Fédération organise, en collaboration avec eux, une grande fête pour ses 25 ans, le 10 juin à Lucmau, du côté de Captieux. Au programme : jeux pour enfants, et bien sûr grand repas et spectacles.
En attendant les célébrations du printemps, la programmation de début 2023 sera en ligne début janvier et s'annonce déjà riche, avec du théâtre de marionnettes, du slam multi-instrumentiste, des fanfares de rue, de la pop et des chansons françaises, du bossa swing, du reggae, de l'irish folk, des musiques traditionnelles africaines ou brésiliennes. Pour bien voyager... en restant près chez soi.
Petite histoire des Cercles
L’origine des cercles de Gascogne remonte aux lendemains de la Révolution française. Une création dans le contexte particulier du monde des scieries, gemmeurs, muletiers, bûcherons, alors que s’établit la « République au village ». Les premiers cercles remontent à la première moitié du XIXe siècle, la plupart du temps à l'initiative de notables locaux, souvent issus du milieu forestier, mais pas que. Ils sont rejoints par les commerçants et artisans vers les années 1850, puis les paysans, ouvriers et métayers.
C'est vraiment entre 1890 et 1914, en pleine IIIe République, que ces cercles se multiplient entre Landes girondines et Haute Lande, favorisés par la loi 1901. Le but affiché ? Resserrer les liens de fraternité unissant ses membres de toutes conditions. Dans ces lieux réservés aux hommes jusque dans les années 1950, on parle, on vient s'informer, lire le journal, jouer aux cartes et boire un coup ou deux.
Nombre d’entre eux n’ont pas résisté au temps. Et pour enrayer leur disparition, fut créée en 1998 la Fédération des Cercles de Gascogne à l’initiative notamment d’Alain Crenca, alors président du Cercle de l’union de Pissos (fondé en 1907). Aujourd'hui, il en existe 23 : 9 dans les Landes (Brocas, Garein, Labrit, Lesgor, Luxey, Mont-de-Marsan, Pissos, Saint-Justin, Sort-en-Chalosse) et 14 en Sud Gironde. D'autres cafés associatifs tapent régulièrement à la porte de la Fédération pour la rejoindre, y compris dans le Lot-et-Garonne et le Gers, preuve de la nouvelle vitalité de ces lieux de partage.
Pour aller plus loin
Les sites du département